21.08.2022

Emile De Geyndt à propos du magazine Not So Difficult

Pleasure Island

La Lune Menteuse

 

Emile De Geyndt
à propos du magazine

Not So Difficult

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Interview traduite de l’anglais

Comme la lune influence les marées, l’Institut belge de design graphique descend dans la cabine de PLEASURE ISLAND en collaboration avec HARING BOOKS. Lors de cet événement, nous avons invité des éditeurs et des graphistes à nous raconter leurs expériences au sujet de trois magazines indépendants. Le graphiste Emile De Geyndt et photographe Jente Waerzeggers nous raconte un peu plus à propos du magazine NOT SO DIFFICULT.

Pia: Not So Difficult est un nouveau magazine, pourriez-vous le présenter en quelques mots ?

Jente Waerzeggers: Not So Difficult est un magazine consacré à la musique que nous avons lancé en 2020. Notre premier numéro est sorti en mars 2021. Il s’agit d’un magazine imprimé et offline qui présente 12 interviews de musiciens et de personnes qui travaillent dans l’industrie de la musique, principalement en Belgique mais aussi à l’étranger. Nous accordons beaucoup d’attention à l’aspect visuel qui entre en jeu lors de la réalisation du magazine.

Pia: Combien êtes-vous dans l’équipe ? Pouvez-vous vous présenter ?

Emile De Geyndt: Au total, nous comptons une dizaine de membres “de base”. Jente, à côté de moi, est le rédacteur en chef de la photographie. Au début, il prenait la plupart des photos, mais aujourd’hui, il dirige également d’autres photographes et rassemble leurs différentes visions en un tout cohérent. Je suis le graphiste. Pieter (Volckaert) est le rédacteur en chef, et le chef du magazine, disons, au niveau spirituel. (rires) Max (Bogaert) s’occupe de la rédaction finale des textes, Anton (Dermine) est chargé des relations publiques et de tout ce qui s’y rapporte, Nathan (Thys) est notre assistant juridique et supervise le processus général du magazine, Max (Bruninx) s’occupe des aspects financiers et Indigo (Deijmann) s’occupe des médias sociaux. Certains d’entre nous écrivent également pour le magazine, mais nous sommes en grande partie aidés par un groupe de bénévoles qui écrivent les interviews ou prennent des photos.

Pour l’instant, nous travaillons tous bénévolement sur le magazine. Bien sûr, il serait agréable de le voir évoluer vers quelque chose de lucratif à l’avenir, mais la situation actuelle nous oblige également à tirer profit de notre travail de différentes manières. C’est agréable d’être libre et d’expérimenter ce que peut être un magazine. Je n’ai pas à prêter attention à des choses que d’autres designers devraient faire, parce que l’équipe comprend aussi que le magazine ne me profite que si je dispose d’une grande liberté créative. Je considère la possibilité que me donne le magazine d’essayer des idées et de m’exprimer, et de voir ces idées diffusées dans le monde comme une forme de rémunération. C’est le cas pour chacun d’entre nous. Ce que vous en retirez est ce que vous y mettez.

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Pia: Donc, en ce qui concerne l’utilisation des images dont nous avons parlé précédemment (voir l’entretien avec Studio Ward Weirhegh), vous êtes libre de travailler avec les images et de les utiliser comme vous le souhaitez ?

Emile: Oui, je fais beaucoup de recadrage. J’ajoute aussi beaucoup d’éléments graphiques de mon côté. Heureusement, Jente n’y voit pas d’inconvénient. Lorsque Pieter et Jente ont lancé le magazine et m’ont invité à m’occuper de la conception graphique, ils voulaient vraiment que le texte, la mise en page et les images soient au même niveau. 

Pia: Les images sont donc plus que des illustrations du texte ?

Emile: Je ne sais pas si on peut les appeler ainsi. Idéalement, les photos sont suffisamment fortes pour se suffire à elles-mêmes. Je pense que cette tension entre la photographie éditoriale et la « photographie de galerie » est l’une des principales préoccupations de Jente. Comme nous ne publions que deux fois par an, nous voulons que le magazine conserve sa valeur le plus longtemps possible, et cet équilibre entre le contenu visuel et les textes y contribue.

L’ADN de Not So Difficult est en grande partie constitué de cet équilibre « 50/50 » que Pieter et Jente recherchaient depuis le début. Mais je pense qu’il a évolué vers une répartition « 30/30/30 » en raison des éléments graphiques que j’ajoute lors de la conception.

Pia: Nous pouvons ressentir tout au long du magazine que vous vous amusez beaucoup en le mettant en page. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les 30 % que vous ajoutez ?

Emile: Lorsque j’ai conçu le premier numéro, nous avions déjà lancé une petite version d’essai du magazine. Elle contenait trois interviews et se composait uniquement de textes et d’images. C’était une bonne expérience d’apprentissage car, avec le recul, elle n’était pas très intéressante. Je me suis donc efforcée de rendre le magazine plus percutant. Je voulais que la NSD© se distingue le plus possible de tous les autres magazines en Belgique. Je savais très bien à quoi je ne voulais pas que notre magazine ressemble.

Je travaillais sur un spécimen de type avec Otis (Verhoeve) à l’époque et en faisant des recherches, j’ai trouvé ce site web aléatoire avec des dessins à colorier pour les enfants. Nous n’avons pas terminé ce projet ensemble, mais j’avais encore toutes ces images sur mon ordinateur lorsque j’ai conçu NSD©. J’ai commencé à les disséminer dans le magazine et j’ai vraiment aimé le résultat. Parfois, les projets de niche comme NSD© peuvent avoir une prétention de hipster, que ces dessins ont démantelée. Bien sûr, cela correspondait aussi au nom du magasine et cela permet de le rendre amusant et léger, mais plus important encore, cela rendait la mise en page plus audacieuse et plus intéressante. Ensuite, en raison des droits d’auteur, nous ne pouvions pas utiliser les images. J’ai donc demandé à mon frère Gaspar (De Geyndt) de créer une soixantaine de dessins pour le magazine, ce qui a donné le premier numéro. Pour le deuxième numéro, j’ai trouvé un site web d’images vectorielles gratuites, ce qui m’a permis d’utiliser le matériel source réel sans risquer d’enfreindre les droits d’auteur de quelqu’un.

J’aime beaucoup utiliser des images trouvées. Que ce soit sur Internet ou dans la rue. Je prends constamment des photos et j’enregistre des fichiers jpeg. Je les rassemble dans un seul fichier et, peu à peu, une atmosphère se développe. La principale question qui se pose alors est celle de l’association de ces graphiques avec les images et les artistes. En effet, chaque fois que les choses s’associent, une nouvelle signification apparaît. Une image douce peut avoir besoin d’un graphique audacieux ou l’inverse. La dernière étape du processus de conception de NSD© ressemble à un puzzle, une question de trouver le bon élément pour chaque page.

J’ai l’impression que je ne sais jamais vraiment ce que je fais jusqu’à ce que, peut-être un mois plus tard, je puisse avoir une vue d’ensemble. Dans le cas de la NSD© en particulier, parce que c’est très libre, beaucoup de choses se retrouvent dans le magazine, même si elles ne sont pas prises pour ce but là à l’origine. Chaque magazine est le reflet de ce que je suis à ce moment-là.

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Pia: Je suis curieuse de savoir comment l’équipe réagit parfois à la vision d’Emile?

Jente: Nous avons commencé le magazine en constituant l’équipe autour de celui-ci et il a tout de suite été clair que nous voulions qu’Emile soit notre graphiste. Nous savions ce que nous pouvions attendre de lui. Nous avons laissé à Emile la liberté pour la mise-en-page. Bien sûr, nous avons parfois des discussions pour savoir, par exemple, qui nous devrions mettre en couverture : choisissons-nous le plus grand artiste ou simplement la plus belle photo… ? Mais je pense qu’Emile et moi avons des objectifs similaires en tant qu’équipe visuelle et nous trouvons tous les deux qu’il est très important de s’éloigner des conventions qui existent autour de nous.

Pia: C’est une bonne chose pour un graphiste !

Emile:J’ai l’impression qu’il n’y a jamais beaucoup de discussions. Si nous en sommes au quatrième numéro, c’est parce que nous travaillons très bien ensemble. Si ce n’était pas le cas, nous nous serions arrêtés après le premier numéro, ou ils auraient changé de graphiste.

Leroy: Pouvez-vous expliquer le système qui sous-tend la conception graphique ? Vous utilisez parfois plusieurs polices de caractères, ou une page entière de texte ? Dans quelle mesure est-il important pour vous de vous en tenir à un système ?

Emile: La plupart du temps, chaque interview dispose d’une police de titre spéciale. Cette police est également utilisée pour les citations de l’interview. J’ai l’habitude d’utiliser trois polices principales pour les textes, en veillant à ce qu’il n’y ait jamais deux fois la même police à la suite. De cette manière, chaque interview a son propre caractère, ce qui rend le magazine moins monotone.

Pour le troisième numéro, je me suis contenté d’une police de titre et d’une police de texte pour toutes les interviews, car ce numéro était conçu pour ressembler davantage à un recueil de photos qu’à un magazine, avec beaucoup d’espace blanc autour des images. Je voulais également briser les attentes que les gens avaient à l’égard de NSD©, car les deux premiers étaient construits sur la même idée. Je pense qu’à partir de maintenant, je veux que chaque numéro explore une facette différente de ce qui fait un magazine. Dans le prochain numéro, par exemple, je jouerai avec la finesse du papier des magazines et ce qui se passe lorsque des éléments passent de l’autre côté de la page.

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Pia: Envisagez-vous de mettre en ligne certaines parties du magazine à un moment donné ? 

Emile: Depuis le début, nous nous sommes concentrés sur la presse écrite et nous espérons pouvoir continuer à le faire à l’avenir. Notre slogan est « des interviews musicales hors ligne pour le monde en ligne », donc je ne pense pas que cela se produise très bientôt. Nous travaillons sur un site web, mais cela prend beaucoup de temps. C’est un peu triste, mais il est indispensable d’être présent sur des plateformes comme Instagram et Facebook, mais nous essayons d’en faire le moins possible. Le contenu que nous mettons en ligne n’est jamais le contenu réel du magazine.

Pia: Le logo a-t-il également été conçu par vous ?

Emile: Oui, je pense qu’il s’agissait de la deuxième proposition. La police que j’ai utilisée pour le logo est Arial Rounded Bold MT, avec un contour pour la rendre un peu plus ronde qu’elle ne l’est déjà. Il était important pour Pieter et Jente que le jeu de mots de Diffi(cult) soit visible. Ils l’avaient écrit avec des parenthèses autour de culte, et j’ai pensé qu’il serait bien de relier les parenthèses dans un ovale. Ainsi, lorsque nous abrégerons le nom, nous pourrons utiliser le logo du copyright pour le c, ce qui donnera NSD©. J’aime l’Arial Rounded parce qu’elle a un côté enfantin, presque comme un comic sans mais plus propre. Il correspond à l’ambiance peu sérieuse que je voulais créer, tout en étant suffisamment basique pour être réinterprété à chaque numéro.

Leroy: Vous avez également apporté un mug Not So Difficult, pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Emile: Je me souviens que nous voulions créer des produits dérivés et que nous cherchions des articles qui correspondaient à l’idée d’un magazine, mais qui n’étaient pas non plus trop gadgets ou inutiles. Nous avons trouvé qu’il était possible d’imprimer des tasses et c’est ce que nous avons fait. Le graphisme représente une petite maison de campagne avec un coq qui chante « NSD© ». Vous lisez le magazine confortablement, à la maison, peut-être pour le petit-déjeuner, avec un café ou une tasse de thé. Une ambiance très chaleureuse.

Leroy: Peut-être une dernière question. Écoutez-vous la musique de l’artiste lorsque vous mettez en page son interview ?

Emile: Non (rires). J’ai ma propre musique que j’aime bien écouter quand je mets en page. Je fais des découvertes musicales par le biais du magazine, car ce n’est pas vraiment moi qui choisis la plupart des artistes que nous interviewons. Mais j’ai l’impression de pouvoir distiller suffisamment de textes et de photos pour créer l’atmosphère adéquate pour chaque artiste. 

J’ai même parfois du mal à le lire. D’apprécier le magazine en tant que produit après son lancement. Je ne sais pas si d’autres graphistes ont le même problème. Après avoir travaillé si intensément sur le magazine et lu les interviews en diagonale tout en les composant, il me faut du temps avant d’être capable de le considérer comme un lecteur. Et même là, je finis surtout par remarquer les petites erreurs et par grimacer. Mais il est alors temps de passer au suivant, je suppose.

Leroy:  Je vous remercie. Merci pour cette interview et pour nous en avoir dit un peu plus sur l’identité et le Not So Difficult lifestyle.